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  • Manisha

Du 10 au 15 novembre, la puanteur

Les quelques jours de marche au sud de Bergamo puis de Brescia m’ont paru une éternité. Peu de photos illustreront mon récit, la mocheté ne donne pas envie d’être immortalisée. A peine d’être racontée alors je vais me concentrer sur les événements marquants.

Dès Levate, même un peu avant, nous traversons un paysage parfaitement plat. L’humidité ambiante ne nous permet pas de voir les montagnes au nord. Les forêts disparaissent, seuls quelques arbres isolés et des haies donnent un peu de volume à la campagne.

Le moindre coin de terre est cultivé, principalement de maïs et de luzerne, ou couvert de serres à perte de vue. Les chemins sont infiniment ennuyants, ils relient en ligne droite les « cascina », fermes traditionnelles de brique rouge, repliée sur elles mêmes autour d’une cour intérieure bien cachée de l’œil du voyageur par de grands murs sans fenêtres. Il faut dire que je préfère ne rien voir qu’apercevoir les animaux à l’intérieur. Ils y vivent dans des conditions peu enviables, voir difficilement tenables. Le plus difficile est l’odeur, pendant une semaine je respire un air chargé de purin et de produits chimiques.


Les villages sont comme des oasis dans un désert. Je m’y plairais bien si elles n’étaient pas confinées et moi mal à l’aise de me donner le droit de circuler librement.


Quelques fois nous nous échappons de cette tristesse en suivant une rivière sur quelques kilomètres. C’est là que se réfugie la biodiversité, les rivières n’étant que peu modifiées par l’homme.


Ce paysage lugubre ne m’a pas empêchée de faire de belles rencontres. La première, peu après Martinengo, une famille bravissima m’accueille pour une nuit dans leur fameuse cascina. Ils y vivent à trois générations, ont tous le cœur dans la main. Ils me font à manger, me font goûter leurs spécialités, m’offre la possibilité de dormir dans une belle chambre et de me laver moi et mes habits. Je suis heureuse de pouvoir leur rendre service en parant leur poney. Je me trouve alors dans une position peu confortable, leurs bêtes ayant des conditions de vie exécrables et le poney ayant des pieds dans un état plus que catastrophique. Un cas qu'on pourrait déclarer à la SPA, maltraitance par négligence. Je fais ce que je peux mais n’ai jamais travaillé sur des pieds pareils. J’essaie de les convaincre de contacter un professionnel mais je sens qu’ils vont vite oublier mes propos. Cette famille adorable me prend sous son aile et insiste beaucoup pour que je reste, les grands parents pensent déjà à me marier avec leur fils divorcé. Cependant j’arrive à m’échapper le lendemain, trop contente d’avancer malgré un brouillard à couper au couteau.

Les bivouacs ne sont pas facile à trouver, même si les chevaux ne manquent jamais de rien, ce n’est pas toujours très plaisant.


Un gris après-midi, alors que je me sens bien morose, je traverse une ferme malgré le panneau "propriété privée" (les italiens en sont fans). Un homme m'arrète, comprenant ce que je fais là il appelle sa femme pour qu'elle m'ouvre le protail plus loin. Il lui annonce ni plus ni moins que je fais le tours du monde à cheval, ce qui me fait bien rire.

La femme m'attend vers son écurie, elle me pose des questions sincères et pertinentes, ce qui change des question éternelles qu'on me pose à longeur de journée. Elle me propose spontanément de m'arreter là, et meme si ce n'est que le début de l'après-midi je saute sur l'occasion.

Je dresserai ma tente dans un abris paillé, les chevaux se gaveront de trèfle blanc. Mes hotes adorables sont réservés mais aux petits soins. Ils redonnent de la lumière à cette grise journée.



Le lendemain, nous pique niquons dans le seul carré d'herbe non cultivé et généreux, les chevaux paissent en liberté comme toujours. Sans que je comprenne pourquoi, Tao retourne plusieurs fois sur le chemin d'où nous venons, d'un pas décidé. Je vais chaque fois le rechercher, la quatrième fois il fait un bon à mon approche et part au grand trot. J'essai de bloquer Yaméa qui lui emboite le pas, n'y parviens pas et les voilà qu'ils partent tous deux au grand galop sur le chemin de caillous, Haku à leur trousse. Je cours derrière mais suis assez sereine, ils ont déjà fait ça et se sont arretés à la première belle touffe d'herbe. Sauf que cette fois non, ils disparaissent derrière un champ de mais puis réaparaissent au loin, au grand trot. Je cours alors franchement en esquivant les piquets et sacs de grain tombés du bat de Tao. A vive allure et sans aucune hésitation ils retournent sur nos pas. Je coupe à travers champs, ce qui me permet de ne pas trop me faire distancer, mais je suis rapidement à bout de souffle avec ma doudoune, mes grolles de 800gr chacune et la terre molle et irrégulière des champs. Tao ralentis la cadence, je le rattrappe presque en coupant dans un champs. Je ralentis également, sure que la farce est terminée mais quand j'arrive à quelques mètres, Tao repart de plus belle! Je cours comme une furie en gueulant, ils sont extrèmement décidés et je me laisse distancer. Je me supplie de ne pas abandonner, je me convainc de ne pas pleurer. J'ai peur et je suis terriblement en colère.

Une petite voiture blanche croise les chevaux au loin, puis arrive à ma hauteur. J'ai alors un culot gènial, moi qui ai toujours peur de déranger, je me mets au milieu de la route pour ne laisser aucun choix au petit vieux de s'arreter. En gesticulant et en criant "i cavalli, i cavalli!" j'ouvre la portière et m'affale sur le siège passager. Je n'ai absolument pas attendu un moindre signe d'accord de la part du vieux qui me regarde avec des gros yeux, mais qui fait demi-tour et s'élance à la poursuite des fugueurs. Ceux-ci sont passés au pas, nous manquons de les perdre de vue mais les rattrapons finalement. Je saute de la voiture, cours, puis me force à marcher pour ne pas plus exiter les chevaux. Je saisi enfin le licol à Tao et, sans un mot pour retenir ma colère, je fais demi-tour. Un type me parle, je l'ignore puis il me lance "ferma ti che stai rossa" (arrète toi tu es toute rouge). Mon conducteur s'en est allé sans demander son reste, moi j'appelle Haku qui s'est fait semé par la voiture. Il arrive assez vite, essoufflé lui aussi. J'ai littéralement les poumons en feu, il me bruleront la poitrine jusqu'au lendemain! Plusieurs personnes sont sortis de chez eux, ils commentent ma course ou me proposent leur aide. Une heure après la fugue, nous sommes au point de départ et nous continuons notre chemin.



Nous passons la nuit à côté d'une grosse base militaire, le long d'une rivière peuplée de ragondins.

Le lendemain je me lève à 5h30, j'ai trouvé un lieu de repos mais il est à 30km.

Le paysage change enfin, le soleil refait son apparition après plusieurs jours de grisaille.

Je suis heureuse malgré les courbatures qui me rappelent la course de la veille. Et c'est avec émotion et une immense fierté que nous traversons notre première oliveraie. Les oliviers représentent vraiment le voyage pour moi, le dépaysement du sud. Ils nous ont habrités tant de fois lors de nos voyages à vélo avec mon amoureux!



J'ai le sentiment de passer une étape importante du voyage et suis infiniement fière de mes compagnons.

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