Après la désillusion de la veille, je me dis que puisque j’ai le temps à présent je vais passer par ces cascades et lacs si connues de Plitvička Jezera. Nous grimpons alors une colline dans un temps absolument affreux qui se compose de vent par rafales parfois violentes et d´une pluie souvent dense.


A midi je trouve refuge contre un avant toit d’un restaurant fermé, mais lorsque je croque dans mon sandwich son propriétaire me fait dégager. C’est la première fois que ça m’arrive et j’essaie de négocier, en vain. Alors je déplace mon matériel et mes chevaux de quelques mètres et mange sous mon poncho, blasée. C’est le début de la zone extra touristique, je ne m’en suis pas encore rendue compte.
En arrivant au début des lacs je comprends l’ampleur du lieux et regrette immédiatement d’avoir fait ce détour. Je continue tout droit sans hésitation, évitant ainsi la foule et ses photos. Je retrouve tout de même un chemin le long d’une falaise plus loin qui donne sur ces merveilleux lacs une belle vue et croise quelques groupe de promeneurs aux selfie sticks.

Je comprends doublement mon erreur quand je commence à chercher un endroit pour la nuit. L’herbe n’existe pas et le moindre bâtiment est un hôtel, une chambre d’hôte, une pension. Comment trouver une ferme dans ce contexte? On m´en indique une plus loin, je suis navrée de demander cet effort à mes animaux après la trop longue étape de la veille. Une vielle femme me répond à la petite ferme, elle ne veut pas de nous. Je continue dans un village de pensions, la nuit tombe. Aux dernières maisons je demande de l’aide, la pluie se remet à tomber. On appelle une ferme pour moi et on m´y escorte, ce n’est plus très loin. Je retrouve enfin des gens simple après les hôtels de luxes, des agriculteur adorables. On nourrit les chevaux qui resteront dehors malgré le temps et moi je m’installe dans la caravane où il faut se faufiler entre le cheni pour accéder à un lit. La caravane est ballottée par le vent et je suis un peu inquiète pour les chevaux.

Au matin j’ai droit à une omelette extra grasse aux lardons, je donne ces derniers discrètement à Haku. Nous marchons sur la grosse route jusqu’à Korenica, une petite ville encore pleine d’hôtels. J’aimerais m’y arrêter, nous avons besoin de repos mais quelle galère! Il pleut toujours et les températures chutent, il n’y a personne dans la rue. Finalement je me dirige vers un restaurant qui a une fermette m’a-t-on dit et je trouve les cuistos en pause. L’un me prend sous son aile, me trouve une minuscule écurie en face. Étonnamment les chevaux y entrent sans trop d’histoire, ils peuvent tout juste se tourner mais ils ont à manger. Le même cuisiner me propose d’aller a l’hôtel mais mon chien n’y est pas accepté, ce qui me fait refuser. On m’apporte un repas et je mange assise sur mes caisses, vaguement à l’abri. Je pars ensuite en quête d’une des innombrables chambres à louer, mais toutes sont fermées! Je reviens m’assoire devant l’écurie, je suis glacée et dépitée. Je fini par aménager un espace un peu sécurisé pour Haku dans l’écurie, j’ai mis une caisse pour qu’il ne se fasse pas piétiner par Yaméa. Et je retourne voir mon ange gardien qui me fait entrer dans la cuisine et mettre mes mains paralysées dans une bassine d’eau tiède. C’est le taxi qui m’emmène à l’hôtel, un énorme hôtel. Quel bonheur de prendre une douche chaude!

Quand je retourne voir mes compagnons, à pieds, c’est la tempête... de neige! Une tempête comme je n’en ai jamais vécu. A l’aller j’ai le vent dans le dos, tout va bien. Mais au retour, pas moyen d’avancer normalement, les flocons me giflent le visage et me brûlent, je dois avancer en marche arrière. Il y a déjà une jolie couche de neige.


Le lendemain, 25 janvier, je suis la seule au petit déjeuner dans cette immense salle. Il faut dire que je suis pressée de retrouver mon chien qui n’a pas l’habitude de dormir loin de moi. Je le retrouve grelottant et hystérique. La préparation des chevaux est un calvaire, le matériel et plein de glace et de neige, je pars avec les doigts et les pieds congelés. La tempête s’est calmée et nous a laissé un paysage immaculé.

Nous suivons une grosse route, la même pendant plusieurs jours.
Au premier village, il se remet à neiger et je m’arrête pour mettre les bâches sur les selles. Un agriculteur me propose alors de nourrir mes chevaux, ce que j’accepte car je ne sais pas comment je vais bien pouvoir les nourrir à midi. Ils mangent dans sa cour pendant que je bois le café offert, puis je charge du maïs sur Yaméa et rempli les sacs de foin. Quelle générosité spontanée! Je peux alors profiter sereinement du bonheur que me procure la vue des flocons.

Les camions patinent, je suis sur mes gardes car j’ai le sentiment que si l’un d’eux freine trop tard nous risquons d’être emboutis. Une voiture s’arrête à ma hauteur alors que je cherche une maison abandonnée ou un avant toit pour pic niquer. Et justement le couple me propose de venir chez eux. Pas d’hésitation! je suis arrêtée par la police plus loin, ils sont surtout inquiets pour moi et me propose leur aide. Que les hommes sont bons! Ou peut-être faisons nous vraiment pitié.
Chez mes hôtes, une fois les chevaux parqués sous un abri plein de vieux matos, on m’offre à manger au coin du feu. Ces éleveurs ont une maison mais passent toute leur journée dans cette petite pièce au rez, où je dormirai avec Haku. Il neige encore, je suis tellement heureuse d’être là!

26 janvier
Le soleil est de retour, la nature est splendide.

Je pars légère et reconnaissante envers ce couple qui ne croule pas sur l’or mais m´a tout offert. Nous retrouvons notre grosse route et ses contrôles de police (toujours à la recherche de migrants), qui timidement caressent les animaux avec des aires d’enfants. Mais bien qu’il y ait beaucoup de camions, ceux ci sont attentifs à nous, je ne nous sens pas en danger.

La region est très peu habitée, je vise le seul village pour y faire les courses et y passer la nuit. Une fois arrivés sur la colline de Udbina, c’est encore un homme qui me propose spontanément son aide. Il a une énorme ferme où il élève des vaches pour leur viande dans la plaine. Il me donne l’adresse, je passe au supermarché et aillant la flemme de rebrousser chemin pour contourner la colline je décide de descendre droit en bas, le nez sur google satellite qui m’affirme qu’il y a un chemin sous la neige.

Cela devrait nous économiser une demi heure. Le paysage et magnifique, surtout quand il se colore de rose. Mais ce rose la n’est pas bon signe, c’est que le temps fil et impossible de trouver un passage à travers les arbres pliés sous la neige. Tao est un super bulldozer mais il y a des limites et nous faisons plusieurs fois demi tour. Couverts de neige, nous finissons par trouver un passage qui nous mène à la route, de l’autre côté se trouve la ferme.

Oui mais le chemin est bloqué par des clôtures électriques et de gros troupeaux de bovins! Je vois alors qu’il y a un passage sous la route, mais y accéder est un parcours du combattant. Je dois mettre des fils à terre, passer les chevaux l´un après l’autre, nous nous arrachons les habits et les poils sur les buissons épineux. Tout ça pour devoir faire demi tour, reprendre la route sur plusieurs kilomètres et arriver de nuit. Bravo Manisha pour le raccourci!
Josip parle un anglais parfait, fort et beaucoup, il est hyper généreux. Les chevaux trouve leur place dans une grande écurie devant la maison vide dans laquelle je vais dormir. Il fait absolument glacial, j’adore ça quand je sais que je vais dormir au chaud. La lune est presque pleine.
27 janvier


Josip revient au matin dans cette maison où ses employés viennent se réchauffer la journée. Il me conseille sur le chemin à suivre et cette fois j’arrive à guider la troupe à travers champs jusqu’à la route. Le froid a créé des étoiles étincelantes au sol, je suis heureuse et me sens privilégiée d’assister à toute cette beauté.


Nous retrouvons la route de la
veille et la suivons toute la journée. La région est désertée, nous n’apercevons que quelques fermes isolées. J’avais repéré trois fermes à mi distance entre Udbina et Graćac, j´y mettais tous mes espoirs pour y trouver refuge pour la nuit. Arrivés à la hauteur de la première je suis surprise de voir qu’aucune trace n’y mène. Pourtant il y a bien des bêtes et deux enormes chiens qui ne nous lâchent pas. Et un homme nous regarde arriver entre ces vaches. Ça veut dire que le type n’a pas bougé de sa ferme totalement isolée depuis au moins trois jours! De mes quelques mots de croate je lui demande du foin, il refuse en m’expliquant des choses que je ne comprends pas. Je m’apprête à faire demi tour, il disparaît et je sens que j’ai meilleur temps d’attendre un peu. Et oui, je ne sais pas ce qui la fait changer d’avis mais il revient avec trois bottes! J’en charge deux sur Yaméa et une au sommet des caisses à Tao.

Par contre pas moyen de le convaincre de monter le campement ici. Nous continuons jusqu’à la ferme suivante. J’aimerais nous éviter le camping sauvage dans la neige par -11. Mais je suis reçue très froidement et c’est un non catégorique. A la dernière ferme c’est le même accueil, je me fais engueuler je crois.
Alors nous marchons en direction du dernier bâtiment repéré sur google, je n’ai aucune idée de ce que c’est. Et je suis soulagée de trouver un gros bâtiment abandonné, en ruine mais où je pourrai monter ma tente sur le gravas.

Je construis un petit parc dehors pour les copains et je vais chercher le bois. La pleine lune se lève, c’est féerique. Et là, j’entends les loups chanter. Et ils ne sont pas loin les coquins! Étonnement je suis plus émerveillée qu’apeurée, mais quand je les entends chanter de l’autre côté, plus proche, j’écris à Josip pour savoir quoi faire. Il est rassurant, il me dit que les loups sont bien trop intelligents pour s’attaquer à des chevaux en présence d’un chien et d’un humain. Je rentre tout de même les chevaux dans la ruine. Et je passe ma soirée à faire fondre de la neige sur le feu pour abreuver les animaux.

Pour la première fois, Haku dors avec moi dans la tente.
28 janvier
Quand je pars de là, je suis euphorique d’y être arrivée. Nous allons tous bien, j’ai réussi à préparer les affaires malgré le froid mordant, les chevaux ont eu assez à manger. Ils doivent par contre avoir très soif, je m’arrête à la première mini rivière pas complètement gelée. Nous marchons jusqu’à Graćac où Josip nous a trouvé un logement. La ville est grise et il y a très peu de monde dans la rue. Ivica vient à ma rencontre, il me parle allemand avec une douceur étonnante. C’est un homme très différent de l’image que je m’était faite des croates, il est lent, il parle doucement et écoute beaucoup. Nous logeons les chevaux vers les veaux, que nous faisons sortir de l’écurie. Il annonce de la pluie pour la nuit. Haku et moi avons droit à un appartement, nous y resterons deux nuits.

Je suis fatiguée et inquiète pour la suite, il y a encore 60km de désert blanc avant la prochaine petite ville.
30 janvier
Ivica, en plus de tout le reste nous a trouvé une adresse pour le soir. Alors après une journée complète de déluge, nous repartons sous le brouillard.

Mais nous passons rapidement au dessus en montant le col qui nous fera passer de la partie continentale de la Croatie à la partie méditerranéenne. Et la difference est flagrante, de l’autre côté la neige a disparu et les roches sont de toutes les couleurs. Il n’y a que pierres et broussailles à perte de vue, ainsi que quelques bergers.



Nous arrivons à Krupa par une petite route qui longe un canyon grandiose.

Je suis reçue par une famille d’éleveur, qui me servent à manger avant tout le monde et me regardent me régaler. C’est drôle et gênant. Puis l’ami me propose de l’accompagner apporter le repas à son frère qui vit seul avec ses chèvres. Les hommes ne cuisinent pas ici. Nous faisons la tournée de la region, chez lui, chez son frère, chez sa sœur, au canyon et chez lui encore. Il m’explique leur vie, avant la guerre, après, et puis qu’ils sont serbes et non croates, orthodoxes et non chrétiens. C’est très important pour eux. Je suis touchée par sa façon d’aimer sa terre désolée et sa vie de simple berger après avoir vécu des années durant en ville.

31 janvier
Nous partons alors que le ciel se charge. Le redoux est flagrant. Après quelques minutes de marche la pluie se met à tomber. Et elle ne nous lâchera plus! Simplement, le vent s’y mettra aussi, transformant cette journée en la pire de tout le voyage. Parfois les chevaux tournent la croupe au vent et refusent d’avancer, alors je fais de même quelques instants.

Nous ne nous arrêtons qu’une petite demi heure afin que les chevaux mangent quelque chose puis nous luttons jusqu’à Ervenik où m’attend encore un ami de la famille de la veille. Mon hôte me fait attendre, je suis arrivée beaucoup plus tôt que ce à quoi il s’attendait. Je suis glacée et Yaméa tremble comme une feuille.

Mais les chevaux pourrons trouver refuge dans une de ces innombrables maisons abandonnées et un pic nic festif s’organisera autour de moi. Je me retrouve donc avec quatre gaillards picolants au coin du feu et ne me sens pas du tout en danger. Je passe un super moment.
C’est passionnant, Manisha ! J’ai beaucoup pensé à toi le jour de ton anniversaire et je viens d’apprendre dans l’autre post combien ça a été galère. Ton voyage se corse de plus en plus. Je suis tellement en admiration devant ton courage et ta persévérance. Heureusement qu’il y a toutes ces rencontres, les gens, les moments de répit et la nature. Ce qui m’impressionne le plus, je crois, c’est que tu continues toujours la route et que tu ne t’autorises pas beaucoup de repos. Je te remercie pour toutes les nouvelles que tu nous envoie. Ça a fait du bien à Mahesh d’aller à ta rencontre ! Maintenant je vais lire son récit. Aujourd’hui on est samedi saint. Je t’embrasse très…