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  • Yassin

4 mai 2021, sur les traces des migrants


Moi au Kosovo


Quand je vous disais que j’étais devenu un autre homme, c’était aussi grâce à ce 4 mai, jour ou bien malgré moi, j’ai quitté le droit chemin. Nous étions partis tristes de n’avoir revus nos hôtes de la veille et inquiets à l’idée de passer la frontière. A chaque frontière son lot de de surprise. Cette fois-ci ce sera mon tour car le douanier, un cerbère inflexible, niera catégoriquement la validité de mon passeport. Il nous explique, traduit par une femme dont on ignore le rôle, qu’une carte d’identité est nécessaire pour y imprimer le Stample. Incrédules, nous essayons de discuter mais en vain. La femme nous explique que cette douane est particulière, que d‘autres cas similaires sont arrivés et qu’il est possible de passer par ailleurs, à quelque 200 km.


Alors que nous rebroussons chemin pour réfléchir, et parce qu’il nous l’ordonne, un camionneur nous propose son aide. Miracle des camionneurs, toujours si serviables et généreux! Il me prête sa connexion Internet. Je cherche le numéro de l'ambassade et là, nouvelle douche froide: Fermée – Pâque orthodoxe – jour férié.

Dernière solution: passer à pieds. On a remarqué un chemin avec Manisha plus tôt. Je profite encore d’internet pour charger la carte de la région et ai la lumineuse idée de quémander de l’eau à ces altruistes de douaniers. Je quitte la caravane, embarquant mes deux sacs et mon litre et demi d’eau fraîchement acquis.


Le projet ne semble pas pas trop compliqué. Revenir en arrière sur 500m, emprunter ce chemin de terre battue sur 2 ou 3 km et retrouver l’équipe au prochain café! Moins évident lorsque l’on considère les patrouilles qui quadrillent la zone pour verrouiller l’accès au territoire. Et ça ne manque pas, à mi-distance, je suis contrôlé par une voiture. Je présente mon papier innocemment mais le verdict est foudroyant, ma présence ici est illégale.


Retour sur mes pas, je croise, dans un sens puis dans l’autre, une camionnette jaune qui, comme moi, aurait bien aimé qu’on lui fiche la paix. J’essaie de joindre Manisha pour décider ensemble d’un plan d’action mais elle reste injoignable. Je suis trop flemmard pour revenir en arrière, trouver un hôtel puis un bus pour rejoindre, le lendemain au mieux la Serbie par une douane plus conciliante.

Le paysage est vallonné, une rivière file au fond. Il y a quelques maisons, des parcelles qui ont l’air d’être ou d’avoir été cultivées, je m’engage vers le fond de la vallée, à cours d’idée. Mon soucis premier est de rester hors du champ de vision des sentinelles. Je m’arrête quelques fois en descendant à travers un vieux verger pour joindre Manisha. Personne. Plus j’avance, moins je n’envisage de rebrousser chemin, pourtant les obstacles s’accumulent.


Je me rappelle tout d’abord d’une discussion avec Nemania qui nous a hébergé quelques jours auparavant. Il m’expliquait que son job était de déminer des champs de batailles. Cette idée me stoppe net. Après discussion avec moi-même, j’ignore le risque mais tombe, quelques centaines de mètres plus loin, sur des ronds noirs de 2 à 3 mètres de diamètre pouvant évoquer des explosions. Je me rassure en constatant que le champ dans lequel je marche a l’air travaillé.


Plus loin, c’est la densité de la forêt qui me fait douter. Je m’y sens rassuré car bien abrité des patrouilles que j‘entends plus loin mais la progression en devient d’autant plus lente et compliquée. Je ne sais pas encore quelle distance ni quel itinéraire me sortira de ce bourbier mais cette végétation me paraît insurmontable. Foutu pour foutu, je me change et enfile mes increvables chaussures de marche sans chaussettes afin de marcher, et sur terre, et dans l’eau. J’abandonne rapidement la marche en rivière car trop glissante pour risquer de noyer l’ordinateur qui m’accompagne pour les cas d’urgence au boulot.


Sorti de l’épaisseur des bois, je me retrouve sur un sentier puis une route. Je suis géo-localisé sur mon téléphone afin d’identifier, pas à pas, les possibilités. Le soulagement d’avoir rejoint un route fait vite place au stress, j’accélère le pas jusqu'à courir pour m’échapper sur un petit chemin. Je m’éloigne de la route de quelques mètres et m’immobilise, le temps d’analyser la nouvelle situation. Soudain j’entends un moteur et prends conscience de mon exposition. Je m’élance dans le talus qui s’élève près de moi et me cache au mieux. Le coeur bat, le moteur se rapproche avec cette allure qui ne trompe pas des patrouilles. La voiture passe lentement, je la vois 5 secondes puis elle disparait. Je comprends dès cet instant qu’il va falloir être particulièrement prudent lors de mes mouvements. Mes sens s’éveillent et le stress me porte. Dès que la voie est libre, je sors de mon abri et rejoins la route, j’avance le plus vite possible sans courir jusqu’au prochain endroit que je juge protégé. Une ère de pique-nique avec une table, à 15 m de la route et bordé de la rivière. J’ai à peine le temps de m’y sentir bien qu’une autre voiture passe. Je dois me baisser pour disparaître davantage. Je la vois à nouveau poursuivre sa route très lentement. Dès que la situation le permet, je quitte cette planque moyenne et traverse la rivière. Lente et infernale traversée, totalement exposé, pour assurer chaque pas et éviter une catastrophe. De l’autre côté, une forêt basse mais épaisse monte en direction de la route qui fait une épingle pas loin. Malgré l’adrénaline qui me traverse, je m’arrête un moment dans cette portion de la colline, certain de ne pouvoir être vu.


Je me rapproche de la route et patiente quelques minutes, le temps qu’une patrouille passe. Je m’élance, suis la route sur quelques mètres et m’enfile sur un plus petit sentier ou seuls les 4x4 peuvent rouler. Je suis malgré tout attentif au moindre bruit suspect et m’engouffre dans un réseaux de ronces au bruit d’un moteur. Rien.


Seul cliché du périple pour m’assurer que la voie était bien dégagée. C’est sur ce sentier que je me suis rendu compte que mon tube du moment me tournait dans la tête en boucle depuis mon départ.


Je peux poursuivre et grimper le flanc Sud de la colline, les arbres s’éclaircissent, la route s’éloigne, il faut rester vigilant mais la sérénité revient. Je marche vite car la route est encore longue et je commence à sentir une légère fatigue. Il est 15h30, je suis presque en territoire serbe et reçois mon premier SMS de Manisha via la salvatrice Alicia. Merci!


Bien qu’en Serbie, il va encore falloir être très patient dans mes déplacements. Il faut que j’évite la route que je visais car elle est gardée par l’armée. Rassurant. La forêt laisse place à des champs entourés de 5 étages de barbelés. Une autre façon de dire "Dégage" en serbe.


Je réussis à ne croiser personne quand, en m’arrêtant, je suis surpris par des voix. Je m’éloigne et m’arrête un moment. La route sous surveillance est au dessus, le traffic y est régulier, j’hésite à poursuivre de nuit. Finalement je tente ma chance. Dès que je suis sur la route, une voiture arrive, je fais comme si de rien. C’est un civil. Dès qu’elle disparait, je traverse et m’aventure dans les prés en courant. L’espace est à découvert sur une bonne centaine de mètres. Je fais bien attention à tenir mon sac jaune pétant côté montagne.


Hors de vue, je retrouve la quiétude des bois et même le confort d’un faux chemin que j’imagine être un passage de migration. Il est petit mais trop grand pour être un chemin d’animaux et j’y trouve une source. Je perds la trace du sentier, la densité des arbres se renouvelle. Je redescends de la montagne pour rejoindre la colline d’en face et y remonter, longer la crête et redescendre à nouveau dans la vallée. Il me faut une petite heure pour réaliser ce plan, je me sens presque hors de danger.


Le bruit qui provient du ruisseau que je prévois d'enjamber m'inquiète. Je dois le traverser pour rejoindre la route qui me mènera au village tant espéré. Ma crainte retombe quand j’y arrive, je peux y marcher en caleçon, l’eau jusqu'aux cuisses. Parvenu de l’autre côté, je remets ma chemise et mon pantalon pour cacher mes blessures de guerrier. Je dois désormais jouer la carte de la normalité. Plus question de se cacher, on doit croire que j’ai toujours été là, avec mes deux sacs et mon chapeau chinois. Je descends une route, passant devant des maisons, puis un bar et finalement arrive sur la route principale qui mène à la douane. Je prends, au hasard, le premier chemin qui la quitte pour me retrouver dans des potagers partagés ou deux chiens décident de me suivre en aboyant. Je reste fidèle au plan et continue ma route sans broncher, me retrouve dans un champ et enfin sur les traces de Manisha. Le pont, à droite, les ruisseaux. J’ai rarement été si content de voir des crottins. C’est le bruit des chevaux qui me confirme que je suis arrivé, je retrouve mon amoureuse libérée d’un poids énorme. Il est près de 21h, je sors excité et joyeux d’une situation dont je ne savais pas être capable.


Moi en Serbie

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