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La merceilleuse Albanie

Manisha

L’Albanie est un pays incroyable. C’est un animal à quatre pattes: elle a deux pattes dans la tradition, une patte dans la modernité et une patte dans la fantaisie.

J’ai été bousculée, secouée, émerveillée pendant un peu plus d’un mois.

Nous avons passé la frontière mi mars, ça n’a jamais été si simple. Les premiers jours ont été rudes moralement, j’ai eu besoin d’une acclimatation pour me sentir à l’aise et acceptée dans ce pays. La pluie n’a pas aidé et dès la première nuit j’ai dû chercher du foin auprès des habitants car l’herbe n’était pas encore au rendez-vous.

Je me suis tout de suite heurtée à la première difficulté: la langue. Ça m’a rappelé la Chine, je pensais avoir appris à dire ce mot si précieux pour moi, le foin, mais impossible de le prononcer correctement. Ça n’a pas empêché la famille avec qui je tentais de communiquer de nous accueillir pour notre première nuit dans ce pays qui m’avait laissé avec une immense curiosité quelques années auparavant.

L’Albanie est un pays incroyable. Dès notre premier matin, à la petite ville de Ivanaj, nous avons vu des petits chevaux rachitiques attelés, attendre que leur propriétaire vendent leurs quelques choux. Nous avons vu des cochonnets dans le coffre d’une voiture. J’ai vu des dizaines de paires d’yeux braqués sur moi et ma caravane sans un mot. J’ai gardé la tête haute mais je me suis sentie étrange avant de réaliser que dans ce tumulte il n’y avait pas une seule femme.

Après le déluge du deuxième jour nous avons remué tout un village pour trouver du foin. Pas que les gens n’en avaient pas, mais le contact était difficile. En fait personne n’avait d’intérêt pour la troupe ni envie de nous aider, ce qui était si différant des autres pays traversés. Ce qui c’est confirmé avec le temps c’est que si la personne a ce dont j’ai besoin elle va me l’offrir avec cœur, mais si elle ne la pas elle ne va rien faire pour m’aider. Et souvent le fait de ne pas parler la même langue qu’eux fait peur aux albanais.

Cette nuit là nous avons dormi contre une maison abandonnée alors que l’orage éclatait et qu’une meute de chacals hurlaient.

L’Albanie a une nature magnifique, surtout à ce moment charnière où l’hiver est encore là sur les hauteurs, recouvre les sommets de blancs, et où le printemps pointe le bout du nez, verdi tout doucement les plaines. Je n’ai jamais regardé l’herbe pousser avec autant d’attention, de tension.

La nature albanaise est puissante, sauvage, souveraine, pourtant l’homme est absolument partout. Pas tant la marque humaine mais les gens concrètement sont même la où on ne les attend le moins. Je n’ai jamais pu monter un campement, aussi reculé soit-il sans être repérée par un berger sortant des buissons, par un enfant rentrant de l’école, par un homme marchant lentement à cet endroit sans raison visible, un sac plastique à la main.

Il y a eu ce sentiment d’être observée partout, ce qui est épuisant, et puis il y a eu les rencontres, tout aussi épuisantes mais si passionnantes. Après ces quelques jours difficiles mentalement, nous avons été reçus dans un agritourisme luxueux et connu dans l’Albanie entière comme des héros. Je ne me doutais pas que la petite vidéo de la caravane, postée sur Instagram avec mon autorisation aurait autant d’impact pour la suite. On m’en a parlé jusqu’au Kosovo. Et nous n’avons pas dépensé un sous.


Dès le lendemain on m’a fait de grands signes pour m’inviter à boire le café, puis à faire la tournée des églises de la région et finalement nous avons passés la nuit dans cette famille adorable. La jeune fille de 14 ans étant la seule anglophone, j’ai appris beaucoup sur le pays par les yeux d’une adolescente.

La météo a continué à nous malmener, et la recherche d’abris et de foin n’était toujours pas aisée, je crois que mon mode de vie et mes besoins étaient tellement loin de tout ce que les albanais pouvaient imaginer que la compréhension était presque impossible. J’ai parfois ressenti de la méfiance, de la peur de la part des femmes principalement. C’est le premier pays où la caravane ne procurait pas que de l’admiration mais aussi de l’indignation. Que faisait une riche Suissesse, femme seule à marcher dans le froid alors que j’avais une vie confortable en Suisse? J’avais abandonné ma famille, eux ne le faisaient que parce qu’ils étaient obligés d’aller chercher une meilleure vie ailleurs. L’Albanie est un pays pauvre, le plus pauvre d’Europe. Tous ici on un fils, un cousin, un père qui est parti travailler à l’étranger. Comment peuvent ils comprendre que moi j’ai le luxe et l’envie de laisser une bonne situation et voyager sans plus de confort que leurs ancêtres?

La plupart des familles rencontrées en campagne vivent ainsi: une petite maison simple, souvent pas terminée, parfois sans eau courante, où l’on se rassemble dans la seule pièce chauffée au bois. On y fume, on y bois du café turc accompagné d’un shot de raki, on y reçoit tout le village ou la famille qui viennent voir l’étrangère. La cuisine est composées de quelques vieilles casseroles, d’un réchaud à gaz à même le sol, d’une bassine pour l’eau que l’on va puiser au puit. Et la télé est allumée en permanence, toujours sur les mêmes chaînes: télé réalité albanaise sur la formation de couples où l’apparence est au centre. Séries dramatiques turcs et euro vision albanaise. Chaque famille a quelques animaux, vaches, poules, dindons, moutons, cochons... et au moins un chien attaché au fond du jardin. Certain on un âne qui porte le plus souvent un bât beaucoup trop grand pour lui. Un potager, un dôme de foin et des prairies bien rases où l’on laisse paître les bêtes en les surveillant ou en les attachant avec une longue corde autour du cou. Les rares clôtures sont « à l’envers », cet à dire qu’au lieux d’empêcher les animaux de sortir elles les empêchent d’entrer, dans une propriété ou un cimetière, ou dans un champ cultivé.

La famille est certainement la chose la plus importante. Dans les premières question qu’on me pose revient souvent celle sur mes parents, s’ils vivent encore, combien de frères et sœur j’ai, et sont déçus de ma réponse. Qu’une seule sœur?! Pas de frère héritier. La fille est explicitement inférieure, héritera de l’écurie alors que le fils aura la maison. Mais on ne critique jamais ma famille ouvertement, il y a beaucoup de respect. C’est la femme qui déménage chez ses beaux parents une fois mariée, elle s’en occupera en plus de ses enfants et de toutes les tâches de la maison. Si je parle de mon « fiancé » on me demande comment il a bien pu me laisser partir. Je crois que souvent les hommes ne me croient pas.

Et dans ce genre de contexte j’ai été accueilli plusieurs fois comme une reine venant d’une autre galaxie. C’est bien souvent les jeunes enfants qui sont mes interlocuteurs directs, ils apprennent l’anglais à l’école. Parfois c’est le fils ou la fille plus âgée qui est parti travailler quelques années en Italie, en Allemagne ou en Suisse. Et d’autres fois on se débrouille avec quelques mots et des gestes, ce qui n’empêche pas de créer un lien touchant. Un jour j’ai quitté une famille après que la fille soit partie à l’école. La mère, qui m’avait déjà attirée par la douceur de son regard la veille, m’accompagna un bout. Elle me serra dans ses bras et s’en retourna avec les larmes aux yeux, en me priant de donner des nouvelles à se fille. J’avais pourtant été parfois dur avec eux, car il y avait eu beaucoup d’incompréhension dans les décisions que je prenais pour mes animaux. J’avais insisté pour ne pas attacher mes chevaux, j’avais du me battre pour dormir avec Haku dans la tente afin de ne pas le laisser seul alors qu’on me proposait une chambre.

L’Albanie est un pays incroyable. Le réseau routier est catastrophique pour les voitures, rêvé pour un voyage à cheval.

Seuls les autoroutes et routes principales sont goudronnés, toutes les autres sont soit défoncées, soit de macadam troué. Aucune règle n’est respectée par les conducteurs, mais comme personne ne veut faire d’accident tout le monde est vigilant. Je n’ai jamais connu un pays aussi fair play sur la route. Par exemple si une voiture dépasse un camion à toute vitesse dans un virage sans visibilité et qu’un bus arrive en face, le bus va immédiatement se décaler et le camion aussi! Tout ça sans s’énerver, ils conduisent comme des brutes mais sont super zen. On se klaxonne tout le temps mais c’est une manière soit de se saluer, soit de prévenir qu’on arrive. Je ne me suis pas sentie plus en danger qu’ailleurs.



 
 
 

2 Comments


Adela Tintore
Adela Tintore
Jun 19, 2021

Ohhh ! Merci Manisha, j’adore découvrir l’Albanie avec toi!

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Serge Burdet
Serge Burdet
Jun 18, 2021

La photo avec les oies est génialement absurde, ça pourrait être une couverture d'un album de Pink Floyd !

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