top of page

Mes vacances à cheval

Yassin

Je vous propose exceptionnellement de changer de point de vue sur l'aventure et de m'accompagner durant mes trois semaines de vacances paradisiaques avec la caravane silencieuse. Après avoir participé à l'ascension du Nufenen – épopée qui, je vous le confesse, m'aura fait découvrir un sentiment presque nouveau: la solitude dans un territoire austère, me procurant une sorte d'euphorie fulgurante; me voici de retour aux côtés de ma douce chérie et des joyeux larrons qui l'accompagnent. Ces derniers sont pour mon plus grand bonheur toujours fidèles à eux-même: sage et apathique, malicieux et nonchalant, et bien-sûr brave et généreux.


Et le périple commence déjà en Suisse, alors que je suis en train d'achever un site internet, d'organiser la garde de mon chat et de m'acquitter de toutes les modalités qui me permettront d'arriver à destination. Pour faire bref: après avoir été déclaré négatif au COVID-19; je me suis vu privé de trains car complets jusqu'en 1ère classe; j'ai acheté un billet de bus pour une date qui semblait trop tardive (test valable 48h); en essayant d'acheter le billet pour la bonne date, le système a refusé toutes mes tentatives désespérées pendant que le stock de place réduisait pour finalement arriver à zéro.

En relisant la loi, je découvre que le test reste valable durant 72h et décide donc de partir avec mon unique billet.


Avant le départ du bus pour Ljubljana à 20h15, je retrouve un pote (Roland!) pour se mettre bien avant le départ. J'avais l'espoir de poursuivre mon projet de site internet dans le bus mais avec la place à disposition et mon incapacité à trouver une prise pour mon ordinateur, j'abandonne rapidement l'idée.


Je dors durant une bonne partie du trajet et traverse les frontières comme s'il n'y en avait pas. J'arrive à Ljubjana dans la matinée et suis ému de passer en bus par un axe routier que nous avions pris presque cinq ans auparavant à vélo avec Manisha. Correspondance pour Udine, je passe à nouveau la douane sans m'en rendre compte. Arrivé en Italie, je trouve facilement mon train pour Moimacco, village ou m'attend Manisha. Si je vous détaille tout ça c'est que les transports internationaux m'ont toujours stressés et que j'éprouve une certaine fierté d'être arrivé au but sans accroc!

Mon train – un wagon tracté par un genre de tracteur sur rails – me porte avec peine jusqu'au bled ou m'attendent sur le quai Haku et Manisha. Nous ne nous sommes pas vus depuis presque trois mois, les sensations d'étreinte et d'embrassade sont devenues un peu confuses, encore plus avec l'absence de contacts corporels engendré par la pandémie. La joie en est d'autant plus grande et très rapidement c'est comme si l'on était ensemble depuis toujours sans interruption.

Tout de suite nous rejoignons le campement, répartition des affaires pour la première fois et premier repas assis par terre. Je vais me faire assez vite à la vie de nomade. Ou chaque chose a sa place, son ordre et sa fonction. Chaque objet prend une valeur plus importante voir vitale et doit être entretenu avec soin. C’est une bonne école pour un étourdi comme moi qui, même en vérifiant méthodiquement chaque endroit que je quitte, réussis à régulièrement égarer des objets essentiels. Et laissez-moi tout de suite frimer, à part mon tissu en micro-fibre pour nettoyer mes lunettes je n’ai rien perdu. C’est d’ailleurs un bon exemple du côté indispensable des affaires puisque j’ai fini par voir le monde en sépia.


Avant de partir la découverte du monde, il fallait achever mon projet. Et pour ce faire, petite matinée cozy au café. Le drame de l’incompatibilité de mon chargeur est vite oublié quand Manisha supprime la mise à terre avec sa pince à ferrer! Le soir nous dormons à nouveau à côté du cimetière après un rapide contrôle policier. L’attitude très détendue de cet agent qui sort fumer une clope en complimentant les chevaux m’étonne mais me va très bien.


Qu'est-ce qu'il est beau ce chien!


Moi codant au coin du feu après une raclette

Le lendemain nous levons le camp pour la première fois! Ma mission? Équilibrer les caisses de Tao. J'y consacre pas moins de 20 minutes à transférer les éléments d’une caisse à l’autre. J’ai aussi plier la tente mais le tout m’a paru prendre une éternité. Arrêt à l’échoppe du village; le commerçant insiste pour nous offrir 5kg de croquettes. Il faut refuser et décevoir ce brave homme. Les paysages semblent jolis, légèrement vallonnés mais le brouillard y règne en maître toute la journée. Le soir, nous sommes accueillis dans une écurie tenue par deux jeunes gens très agréables qui nous révèlent que les environs sont bordés de montagnes imposantes. Yaméa fait sensation avec sa couverture de survie. D’ailleurs j’allais presque oublier de vous raconter que pour mon premier jour de rando, elle a montré des signes de constipation. C’est rare et plutôt mauvais signe, voilà pourquoi elle a endossé sa couverture en alu. Manisha criera de bonheur demain quand Yaméa fera son premier caca pendant la pause de midi.


On devinerait presque une montagne


Nous partons en direction de Goriza ou nous planifions de nous soumettre au COVID check afin d’être autorisés à traverser la frontière. Goriza est une ville stratégique car elle est autant italienne que slovène. Et comme les Italiens ne sont pas autorisés à changer de commune, nous espérons pouvoir profiter de cette faille administrative. Les choses se gâteront et nous serons tenus de demeurer trois jours durant dans un bed & breakfast, le temps de comprendre que passer notre examen ici ne sera pas possible à cause des fêtes. Le temps aussi de regarder la pluie tomber sans cesse depuis notre canapé.

Entre deux épisodes du Meilleur Pâtissier de France, Manisha va s’occuper des chevaux qui broutent un peu plus loin dans le village. Nous les avions laissés de nuit sur une parcelle à l’abandon puis Manisha, le lendemain, a profité de l’extase d'une enfant pour faire la connaissance d’une voisine qui ira, avec elle, s’assurer chez la propriétaire du terrain que les chevaux peuvent bien squatter.


Comme passer la douane à Goriza risque de prendre beaucoup de temps, Manisha accepte mon idée de poursuivre en Italie quelques jours et de passer par la douane de Fernetti. Je dis bien – accepte – car elle a hâte de changer de pays, même si l’Italie lui plait beaucoup, et car durant cette aventure équestre, c’est elle la cheffe. J’accepterai mon rôle de subalterne et me vengerai en la laissant aller quémander l’hospitalité elle-même.


La journée est belle. Dans la matinée nous sommes contraints de nous arrêter derrière un bâtiment manger du pannetone car une patrouille est postée sur la route à quelques dizaines de mètres. Nous ne sommes pas sensés nous déplacer aujourd’hui. Difficile de dire quels sont les risques mais nous préférons rester distants. La police a disparu quand nous quittons notre cachette. Nous passons aux abords d’une citadelle très jolie puis mangeons un yaourt aux noisettes incroyable durant une douce pause au soleil et à côté d’un endroit équipé de niches et de gamelles. Il y a même des croquettes. Haku n’a pas l’air trop intéressé, Yaméa en revanche en raffole! C’est peut-être pour ça les coliques.

Le soir nous montons le camp entre deux villages, dans une prairie entourée de petits arbres. Le ciel est dégagé et même auprès du feu on sent que la nuit sera glaciale. Il faut du courage pour quitter la chaleur du foyer, se laver les dents et se faufiler dans le sac de couchage. Manisha soupçonne que je fasse exprès d’oublier de me laver les dents. C’est faux! Au petit matin je me réveille, le froid m’englobe et ne me laisse plus dormir. Nous nous levons, démontons parc et campement en s’arrêtant régulièrement pour réchauffer les extrémités qui gèlent. La tente est givrée.

Nous sillonnons à travers des forêts durant cette fraîche journée et commençons à entendre les gens se saluer en slovène. Nous sommes très proches de la mer et parvenons même à l’apercevoir entre deux arbustes. C’est génial de savoir que la troupe est venu jusque là à pieds!



En quittant le campement


Plus tard nous cherchons un lieu pour dormir et finissons par monter la tente sous le préau d’une école abandonnée. Les prévisions météo sont mauvaises et l’abri nous sera d’un confort inouï s’il pleut, surtout pendant la préparation des chevaux.

Les pronostics se révèlent justes, une fine pellicule de neige recouvre la cour et Yaméa peine à marcher car la neige accroche aux fers. Je mets max de couches dans l’espoir de rester sec et chaud le plus longtemps possible. Nous suivons une petite route de campagne qui doit nous mener à Opicina, là ou nous pourrons peut-être obtenir notre précieux sésame pour passer la douane.


Route de campagne avec neige


Pendant une pause pour vérifier l'itinéraire, un type m’approche et me tend son téléphone. Il faut que je le prenne en photo avec Tao. Plus loin, un généreux commerçant est très heureux de nous voir passer et nous propose de picoler avec lui. Nous profitons de cette aubaine pour demander un bout de pain pour compléter les maigres carottes qu’il nous reste. Il pleut légèrement pendant le repas. Plus loin, nous refusons l’hospitalité d’une femme qui avait du nous repérer plus tôt et nous apportait une botte de foin pour la clique. C’est un peu trop tôt pour s’arrêter mais nous regretterons notre choix assez vite. Tant pis, nous trouverons bien d’autres âmes généreuses. Le regret augmente en même temps que la pluie.



Je suis pas sûr d'avoir fait exprès de tirer la langue


Dans le village d'après – village pourvu de la plus grande grotte d’Europe apparemment et qui porte l’original nom de Borgo Grotta Gigante – nous arrivons dans un domaine avec des chevaux et quelques bicoques en brique. Manisha part à la recherche de quelqu’un, il pleut toujours à grosse goutes. Resté dans la cour, c’est moi qui fait la rencontre de Marina. Elle a vu Haku, puis les chevaux et finalement moi. Son étonnement est manifeste et tout de suite je sens en elle une bienveillance sans limite. Elle disparait puis revient accompagnée de son fils et beau-fils. Manisha est de retour et expose la situation. Ils n’hésitent pas une seconde lorsqu’ils apprennent d’ou la caravane arrive. C’est sûr que ça force le respect. Nous sommes accueillis dans l’étable avec un taurillon et deux veaux. Je sentirais presque le souffle du taureau sur ma nuque durant la nuit mais la chaleur qu’il génère compense le désagrément. Contre toute attente, les bruits d’urine, d’éclaboussure de merde et de cornes contre les barrières ne m’empêchent pas de dormir profondément. Et ça se comprend car après avoir fait connaissance avec la famille, nous voilà immergés dans un nouveau monde – le leur – qu’ils partagent sans retenue. En plus de nous loger, nous et nos bêtes, ils nous accueilleront à leur table durant les deux jours suivants. Il m’est difficile et frustrant de suivre les conversations mais je jouis de chaque instant dans cette famille unique ou les générations, origines et tempéraments se mêlent et se complètent dans une effervescence parfois débordante. Le blanc de la maison arrive sans arrêt dans un bidon en PET de 2 litres et il goute bon! Après cette intense soirée et une bonne douche chaude, nous voilà prêts à dormir avec les bovins.

Tous au lit!

Le lendemain Andrea, le beau fils, nous escorte à la ville d’à côté pour y passer le test et acheter quelques provisions. Sur le chemin du retour que nous faisons à pieds, un orage éclate, suivi d’une averse de grêle qui m'inonde d'un seul jet. La grêle est d’une telle intensité que nous poursuivons la route sur un tapis de glace croustillant. Une fois arrivé, comme la veille, je peux faire sécher mes chaussures sur la porte ouverte du four à bois. Nous passons le reste de la journée tranquillement, à parcourir deux mois de voyage en images sur mon ordinateur et à jouer avec la petite Giulia qui est ravie que nous nous soyons arrêtés par chez elle. On profite aussi du temps libre pour coiffer les chevaux. Il faut qu’ils aient de l’allure pour entrer en Slovénie! La toilette dure un moment mais nous arrivons à retirer toute la bardane des crins avant de rentrer manger. Le repas est plus calme, c’est agréable aussi. C’es même la télévision qui, subtilement, parviendra à attirer l’attention qu’elle avait cherché toute la journée. Un film avec des chevaux. Manisha est au téléphone avec ses parents et moi j’en profite pour suivre une leçon d’échecs. Nous nous couchons assez tôt et laissons nos hôtes à leur film.

La pluie, qui depuis qu’on est ici fait la loi, a fait place aux éclaircies. On peut donc remercier du fond du coeur la famille Suc et arpenter la route avec bonheur. A travers bois on évite les flaques d’eau et arrivons vers midi à la douane.


Pour vos futurs vacances, je vous recommande les passages de douane à pieds, c'est très original


Seule Manisha a reçu son résultat mais nous tentons tout de même le coup. Espoir rapidement balayé par un soldat, antipathique au possible, qui nous ordonne de dégager au plus vite. On est apparemment déjà en Slovénie et il n’est pas tolérable que nous fassions brouter les chevaux ici ou là en attendant l'arrivée de mon résultat. Ça tombe bien finalement car nous devions passer par la frontière italienne pour déclarer la sortie des chevaux. Mais cette ordure d’officiel ne veut pas comprendre que nous avons pu arriver là sans passer par le poste italien et ne fait même pas l’effort de nous expliquer la direction. Ce comportement me fait froid dans le dos mais j’imagine qu’il en paie le prix chaque jour en détestant tout autour de lui. Peut-être est-il même parvenu à se déteste lui-même.


Il n’est pas si simple de trouver à pieds un endroit ou l’on arrive généralement par l’autoroute sans se poser la moindre question. Mais, après un détour par la gendarmerie qui aurait presque cru à un assaut médiéval en nous voyant franchir leur portail, nous trouvons enfin. Nous avançons avec nos chevaux entre les camions arrêtés de routards en pause. Ils sont émerveillés par notre présence et, lorsque que j’attend Manisha partie faire signer ses documents, je suis plus adulé que Donald à Disneyland pour être pris en photo. Finalement Manisha m’apprend à son retour que la zone Euro a supprimé toute formalité pour les voyageurs à cheval. C’est pas grave, nous pouvons profiter encore de cet endroit très approprié aux chevaux pour faire le plein du réchaud à essence.

Retour en direction de la Slovénie, petit pic-nique dans un pré clôturé sous un soleil généreux, le temps d’enfin recevoir mon résultat. Négatif lui aussi! J’appréhende un peu de revoir l’autre grincheux mais c’est un collègue qui nous siffle alors que nous pensions pouvoir simplement passer. Il s’approche et, sans animosité, commence par nous indiquer que l’accès est interdit. On insiste en présentant nos tests négatifs, « stay or transit? » demande-t-il. Évidemment nous n’allons pas demeurer éternellement en Slovénie et le transit parait être la meilleure réponse. C’est le cas puisqu’il nous souhaite un bon voyage et précise qu’il faut prendre la direction de l’autoroute brièvement avant de pouvoir la quitter. Pleins d’un grand soulagement nous suivons son conseil, talonnés par un semi-remorque.


A la prochaine, en Slovénie et merci pour votre lecture!

 
 
 

5 Comments


Jérôme Golliard
Jérôme Golliard
Mar 03, 2021

Quelle plume !

Like

Serge Burdet
Serge Burdet
Feb 22, 2021

Il est ouf ton niveau d'expression écrite !

Like

Francoise Bitton
Francoise Bitton
Feb 09, 2021

Merci pour ce beau récit de votre aventure et bonne suite en Slovénie !

Like

Adela Tintore
Adela Tintore
Feb 05, 2021

Magnifique récit, Yassin ! Qu’est-ce que j’ai rigolé !!! Un grand merci pour ta générosité d’expliquer et de partager cette aventure. Aujourd’hui, j’écoutais la Radio Suisse que je n’écoute presque jamais et tout à coup j’entends : « Dans 10’ la globe trotteuse Manisha Berger «  Quel bonheur d’entendre la belle voix de Manisha, drôle et pleine d’assurance. Et quelle surprise! Manish, tes points de vue m’ont beaucoup plu et j’ai beaucoup appris en t’écoutant. J’ai même repoussé un appel de Julia qui m’appelait depuis le sud sud du Chili! Elle a bien demandé que je lui explique tout après. J’espère que tu vas bien et vous embrasse et vous remercie encore. Adela

Like

paparellip.c
paparellip.c
Feb 03, 2021

Coucou les jeunes, on se demandait quand viendrait la suite du récit que Yassin devait écrire, c'est chose faite, avec beaucoup d'humour en plus. Belle écriture aussi. Les vacances devaient être chouettes, malgré la pluie ou la neige. Bonne route à Manisha et son équipe. Bisous à vous tous.

Like
bottom of page